Rapport du B.E.P

    

L'autonommé Lung, obscur employé du B.I.P, recevait chaque jour et précisément, deux enquêtes surnuméraires sur sa pile (quelque chose de l'ordre des mathématiques : « y = x+2 »), sans que le nombre total des enquêtes allât nez-en-moins crèche-aine-dos. D'où s'élevait ce problème évident de répartition ? D’où venait qu’on le défavorisât lui entre toutes les parties ? Quelque chose des mathématiques de l'ordre : L'illuminé Lung, obscur employé du B.I.P, déplaisait puissamment à ses n+1 et ces sous-vizirs térébrants l’acculaient méthodiquement... Chercher les poux d’opposants désorganisés c’est être tire-au-flanc. Ce penchant très apparent de violence ne suffisait pas cependant : en plus de l'en faire baver ouvertement on sécrétait aussi sur son dos. L'envers se pavait de nuisances murales qui le persécutaient invisiblement... des bruits de couloirs dont les sombres bribes atteignaient en échos brisés le misérable… Toute déduction faite, les conjurés du jour j ne se dévoilaient guère à l'heure h, et les empoisonneurs diurnes dînaient avec les vespéraux... Il y avait les ennemis des alliés et… les alliés des ennemis ! Police du vêtement et harnais de cravate ! Chaude, molle, froide, roide, cette guerre bureaucrate fut certes un balai chromatique… Comment donc l'autonommé Lung polarisait-il sur lui seul tout le monceau des ruissellements sourds et des foudres guerrières ? D’abord, le choix de l’autonomination précédait une faillite annoncée. Arrogant moyen de distinction. Irritant désir de notoriété. Ébruitée, l'ascension par le prénom d'un travailleur du B.I.P aurait autant le son de la nouveauté que celui de l’enterrement. Aussi, le m'as-tu-vu Lung n’en aurait plus pour longtemps...

Incisive défensive ou défense offensive... La seule imperfection de son aspect consistait en une dent dorée... À l'occasion des bagarres, il évitait soigneusement de l'endommager. Le saviez-vous ? La corne torsadée de l’éolar est moins une lance qu'une antenne radar : la pulpe enrobe l’émail. L’hypomerde devient l’épimerde. Derme ! Derme... Lave, glace et gueules cassées, Claude clodo ou Jacque royal, Coquillages et crustacés... Babillages de cuistancier... Le commis d’usine Lung décousait comiquement son exercice : Un premier tiers (⅓) impliable de Temps (T) accordé à son devoir d’ouvrier. Le second tiers était voué à la vie des seins et leurs aréoles, des bouts de charmeuses dévêtues ensevelies sous les monts de papiers... pour les boulimies pornographes des longs après-midis, des gravures grivoises qui se trafiquaient entre les entre-deux. Remous de moments que le planning échouait à dominer. Titre du quatrième tiers : HORS-LOGE. Extrait de son rectangle, le logicien du Barreau se paye un défilé muet dans nos chants de vision. Ces mouvements, la foule les suit tels ceux du bourreau. Exercer un métier de chaise ne va pas sans déplacements capitaux. Ceintures, coalitions, rivalités, pompes, parades, quolibets… cortège, fanfare, godillots… souliers, seringues, gonades, bouffissures dont les clopes, les cafés, les coupe-faim, les chasses d’eau, les césures sont autant de paratextes. De petits pas pour l’homme, un grand pas pour son humanité. Le préposé Lung, du point a au point b, place des espoirs dans ses enjambés... et vous, public tatillon, misez vos billes sur ses misérables talons… vous et lui faites conséquence commune. Assez tourné autour du pot ? Mais le 4ème tiers procède des tours de pots, le corps sain contient l’esprit fou, et l’engourdissement se déchargera fulguramment, le déchaînement serait à la démesure de l’enchaînement ! Le ciel gonflé fait son rejet d’électrons, c’est l’ère de la plâtrée, de la diarrhée et de l’étron ! Entretiens-je le suspense ? Vous retiens-je et vous garrotte ? C’est le coup du lapin, du bâton et de la carotte ! Le brigand mondain amadoue pour mieux briguer, vous cramer les ailes au déo et au briquet... Gros Gras de l’assurance qu’on le vit convoyer ! Ivre de convoitise à l’égard des regards ! Que Lung dérogeât à la mode de ce havre tenait du dada. Être péjoratif à son endroit, ou pire, ne pas être admiratif, c’était, je crois, le brûler à vif. Le complimenter... ça ! c’était jeter l’huile au brasier. Tarir était une tare. Il eût péri pour ne jamais flétrir.

Encensements ! Des éloges pour la paix, jets de gants, tirages de chapeaux, berne et levée de drapeaux. Piège des suppôts aurait dû s'appeler la pièce de repos. Hauts cols, coups-bas... appâts rances, chants de leurres, collets de pâte... Mardi Gras pour logiciens et magistrats : les sectateurs s’habillaient en sénateurs et les zélateurs en serviteurs. Des ministres sinistres... des gargouilles, des toux, des crachats... des fiefs disputés pour les griefs de vermisseaux... crachins, glaire, missives, marcs, moues, sucres, écumes, règles, vernissages, triple-sots... cuisses, raies publiques, chèques, hématémèse, maisons closes... vît privé, coulisses injurieux, devants pires, étoles perdues, nuques goitrées... échevins, exils, députés... aphtes, phtisies, cendriers, salissure, paysages, vomissures... nettoyage par le bide… outrages, rides, cachots... Quid des maréchaux ? Ils étaient en séides. Les maires, les nonnes, les bonnes, les paires, les psaumes, les baumes… constantes, grandeurs, éminences, irréversibilité… les mômes, les gosses, les butins... les mort-nés, les grosses, les putains... les faux, les marmots, les burins, les aumôniers, les apôtres, les chapelains... les prêtres, les pasteurs, les prélats, les paladins... les abbés, les maîtres, les pitres, les mutins... les clercs, les curés, les cuistres, les lutins, leurs pupilles et leurs lutrins... les protonotaires, les consistoires, les fanaux... leurs cloques, leurs ulcères et leurs cardinaux... les mages, les druides, les évêques... leurs pages, leurs mitres et leurs pastoureaux ! Une bible putative en livre de chevet, une morue galante tête dans le guidon… un chanoine ivre bavant ses versets… des buveurs autour d’un guéridon… des moineaux bistres ou vert-céladons ! Au creux du défilé, à l’orée d’une caverne, un tsar ressuscité fait chanter ses ouailles et ses oignons... Au fond de la mine creusée au moignon... au bas-bout de galeries anonymes... dans l’une des dix-mille artères... un lac. Dans le lac, une baleine à bosses, dans l’une des bosses, une fille, dans la fille, une gemme jaune ! Erratique hiératique ! Faites le plein de vomitif ! Lung avait repassé cette forêt drue à l’orbite et au monocle. Nique ! Il était temps d’en tirer des parties pratiques. Ne rasant pas assez les murs et trop bien ses joues, le madré Lung se maintenait sous ces différents ciels et prémunissait ses collègues des mauvaises marées... Union algique et moirée d’un dé à coudre plastique et d’une aiguille paratonnerre dorée… faire de l’ombre et du reflet. Le Zécler regardait Lung de ses gros yeux… et lisait. C'était un curieux que ce Zécler.

          Que j’abrège ? Entendu. Dans un renfoncement de la salle de pause, l’autonommé Lung, préteur urbain de matricule 109, rererelisait une plainte. L’enduit de lettres ne prenait pas sur la cornée... Ça ne voulait pas prendre. Il y avait des mots et pas de phrases... colle-à-bois contre colibri. Il s’endormit. Non qu’un employé de bureau vraiment s'en dérange... mais 109 refit souvent ce cauchemar étrange… Le chauffard aurait-il assez de profondeur pour être tourmenté ? Sirènes, foule, morgue, terreur. Il se réveilla. Bifurqua vers une substance plus absorbable : l’un des prospectus clitoridiens sur la table. Y figurait la géographie prismatique et très constellée des loisirs somatiques. À chaque page, il humectait un doigt jauni par mille paquets d’un tabac blond de Virginie. Tout, et je dis bien tout, allait bien, quand, entre le mur et la sortie du renfoncement dans lequel il s’était niché, vint s’intercaler le supérieur de 109. Vivre au-dessus du plafond ne lui suffisait plus, il érigeait dernièrement des barrages coplanaires. Or premièrement, 109 répugnait à ce qu’on l’acculât. “Ah 109 ! Je vous tiens. Que faites-vous ?” “Mon métier. Je me renseigne.” “Et vous agissez !” “S’il le faut.” “Et en conséquence !” “Pas toujours.” “Ma femme me trompe.” “Encore.” “Non. Cette fois c’est la bonne. J’aurais dû dire : elle m’a trompé. Je vous raconte l’affaire. Notez bien. Faites-moi piété ! À vos glaviots, à vos claviers !” Voici ce que rédigea 109, je vous préviens, c’est incompréhensible. De la fantaisie. Transcrit de l’original / Employé du BIP 109 / Prélèvement corbeille : Tau, impératrice parturiente, enjeu périlleux de la lutte des tranches du Rocher, fut longtemps maintenue furtive. Tout vient à point... à qui sait entendre. Si vous, gens du commun des bordels, vous approchiez d’elle... et si… manquant de précautions... on vous... attrapait ! Vos yeux... préventivement et avec grande précaution... on vous les embrochait ! Et si vous l'aviez vu ou l’auriez vu... on vous scierait la langue avant qu'elle ne vili-pende ! Oui, on vous sciait rien que sur la base de si ! Il n’était pas rare sur Aerluminocron de s'adresser à un aveugle ou de voir passer un muet. Les descriptions de Tau ne peuvent être qu’indirectes, nous les devons à un tel qui les doit lui-même à tel ou telle... de régression en régression... rebroussant jusqu’à la fuite originelle... Signes, écritures, clins d'œil, qui sait combien de termes, combien de langages ont filtré ce mythe ? Tout vient à temps à qui sait apoindre ! Nous recousons les pans d’un profil qui s’efface... Et ce portrait orpaillé sera peut-être démenti car au prix de nous parvenir, il fut démonté. Les mentons fuyaient, gauches et claudiquant, dans un thorax qui les aurait cent fois contenu. Le ??????????????????????

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          Je ne peux vous en dire plus. Concernant l’autre protagoniste de cette histoire et les… troubles… du Merdier, tout ce qui concerne l’Agent U27,7 est ici, voici un premier enregistrement : « 27.7 ! Passe la brosse à merdure ! » « Attends... » « Nan j’attends pas. File-moi cette putain de brosse ! » Dans le boyau tiers-plein de merdes, l’agent U24.1 arracha son masque nasal à l’agent U27.7. Plaisanterie commune. « Rends-ça pauvre proto-type ! » Toujours dans le boyau, l’agent U27.7 tenta de récupérer son masque. (Masque prêté par la STEP d’Aerluminocron pour le confort de ses agents.) L’agent U24.1 lança le masque dans ce que les agents appellent une meule, un disque d’excréments caractéristique, engendré par l’accrétion des solides dans les coudes des préfiltres. L’acte va à l’encontre du protocole de bonne conduite établis dans : Attitude et comportements entre les agents, paraphe des sévices physiques. « Ha ! Chrome ! Pile dans la meule ! Bonne chance bouseux ! J’prends ma pause. Je suis mort de rire… » « Si seulement… c’était vrai… Fils d’oxypute... » L’agent U24.1 prit son quart de cadran de repos 4/15ème de quart avant le moment adéquat. Dans le boyau tiers-plein de merde, l’agent U27.7, s’enfonça et récupéra le masque au sommet de la meule, le rinça, dans un peu de boue de la rigole, et le remis à sa place, sur son nez, non sans un certain dégoût. Il avait gardé la brosse à merdure... elle se partage les quatre mains de deux agents car elle n’est utile qu’en cas de couac. Couac (terme jargonautique du Merdier) nom masc : petit amas d’excréments extrêmement dur qui résiste aux éponges à récurer courantes. Les agents débutants se ruent sur ces couacs... les bruits d’usines et autres racontars prolétariens les chargent de trésors. Il n’en est, 99.9998% du temps, rien. Or, l’agent U27.7 s’avança mollement vers la merdure et brossa longuement l’amoncellement. Sans déranger les protocoles d’utilisation ni déroger à ses prérogatives. Mais c’est ici que l’affaire s’envenime. Au fil des coups du gros grattoir se profile lentement une forme dont les détails se précisent... je veux dire que se précise une forme dont les détails se profilent : L’agent U27.7 recula de surprise... Oui ! Exactement cela ! Dans un tas de merde ! C’est fou ! U27.7, guidé par sa nature craintive s’empressa réflexement de cacher l’objet dans la seule poche secrète qu’il possédait... il l’inséra, non sans une certaine grimace, dans la région consacrée à la pudeur que vous avez devinée. Cet évènement serait passé inaperçu si U27.7 (qui avait repris sa tache) c’était représenté le lendemain. On ne le vit plus au Merdier. C’était il y a six quadrans. Oui. Comme quoi... il y a des sous-métiers.

Ce qui nous mène à vous, Agent Tau. Pourquoi vous ont-ils mentionnée l’un comme l’autre ? « Oui… ce n’est pas rien. » Vous ne sentez pas l’aventure ? « Une piste ? » Les Boyaux. « Les Boyaux… Je n’y suis jamais descendue. » Il parait que ce n’est pas charmant. Vous savez ce qu’on y dit des femmes ? Moi non plus. Or il me faut des on-dit d’en bas Tau ! Traînez les oreilles... Relacez vos lacets devant les portes closes... Écoutez les bruits urbains... ce genre de choses. Laissez à des gens comme moi le luxe de faire faire. Soyez attentive et… faites attention ! Le lapin est entré dans le chapeau. « Le ver est dans l’Apple. » Je vous laisse le choix du pénétrant et du pénétré… du pelé et du pelant. Tau s'en retourna chez elle. Le jour était un peu jeune pour investiguer. Dans l’épaisse avenue orangeâtre, les petites lanternes à chandelles arrachaient les démons à leur ténèbre... Et... Pardon. J’abrège. Bien. J’essaierai de ne plus m’excuser. Notre étage, bien que plutôt dans les hauteurs d’Aerluminocron est encore assez sordide pour être repoussant. Il y a toujours pire vous me direz. C’est vrai… il n’y a pas toujours pire. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se rouille. Tau, ébouriffée d’une nuit brusquement interrompue, défilait, mélancolique et vertueuse, vers son taudis… Mélancolique ? Nous le savons car les cérébrales irriguaient en zones mélancoliques. Et puis ça se voyait à la bouille. Derrière elle, qui faisait mine de perdre des plumes, lévitait mécaniquement le faux faucon... L’émerillon d’Intelligence Amicale surnommé Merlin. Modèle de service typique. Nous sommes au fait de beaucoup des éléments qui vont suivre par le biais de ce familier… nous étions certains d’en être les maîtres. Les compagnons mécaniques offrent un support technique sérénisant et sécurisant. Ils créent et même récréent. Ils veillent et parfois… même... surveillent. Archivant le quotidien de nos employés. Ce n’est pas vécu comme une intrusion dans leur intimité. Nous les convainquons que personne ne voit vraiment ces enregistrements et que les données sont éliminées à chaque retour de cadran. Mensonge. Cela dit, il est vrai, qu’en général, et, coutumièrement, personne, ne visionne ces bandes. Ça n’empêche pas d’aller à la messe et au bordel avec le même chéquier… on se dévêt encore dans l’écho des pailles à son… au fond du vase il y a toujours de la vase. Il n’y a que les cacochymes et les vétillards qui se cachent cachent en se donnant des façons souterraines… des manières minières. Du moins… C’est ce que nous croyions. Je poursuis. dimension, qui devait bien renfermer quelque chose… Je vis… je vis encore… d’autres dessins… d’autres couleurs mémorables, alors j’interrogeai l’émerillon : « Quelles sont ces peintures que je vois au centre du triclinium ? » « L’Iliade et l’Odyssée. Sur la gauche, vous voyez un combat de gladiateurs. Êtes-vous satisfait par ma réponse ? »

Mais je n’avais pas le temps d’examiner à loisir toutes ces curiosités. Déjà nous arrivions à la salle du festin. À l’entrée se tenait un intendant de maison, recevant des comptes… ce qui m’étonna le plus fut d’apercevoir, sur le chambranle de la porte, des haches dont l’extrémité du manche se terminait par un éperon de galère en airain, sur lequel était écrit :

 

LE III, ET LA VEILLE DES IDES DE MARS,
NOTRE MAITRESSE TAU SOUPE EN VILLE.

Cette inscription était éclairée par une double lampe suspendue à la voûte. J’aperçus aussi une tablette attachée aux deux battants de la porte. Elle représentait le cours d’une lune et de sept planètes, les jours fastes et néfastes, indiqués par des points de différentes couleurs. Au moment où, enivrés de tant de merveilles, nous entrions dans la salle du banquet, l’intendant, cria : « Du
pied droit ! » Tau eut un frisson. Elle s’appliqua à franchir le seuil en prenant le pas d’ordonnance. Soudain, un autre bot se jette à nos pieds… du moins… au pieds de Tau. On avait perdu une de ses toges, une robe de banquet qui avait été donné par… d’après ce que je comprenais. Elle était assurément de pourpre Tyrienne… mais elle avait déjà été lavée une fois… Quoi qu’il en soit, j’accorde la grâce au coupable. Ce jour-là Tau fut magnanime. Reconnaissant d’une si grande clémence, nous étions à peine entrés dans la salle du festin, ce même bot se précipite vers elle, et, pour la remercier de cet acte d’humanité, lui applique tant et de si vigoureux baisers, qu’elle ne sut plus où elle en était. « Du reste, dit-il, vous allez bientôt connaître que vous n’avez pas obligé un ingrat : c’est moi qui sers le vin ! C’est le vôtre sans doute mais il est toujours bon d’être favorisé. » Lorsque, après tous ces retards, nous fûmes enfin placée à table, des robiots versèrent sur ses mains de l’eau de neige et furent bientôt remplacés par d’autres qui nous lavèrent les pieds et nous nettoyèrent les ongles avec une admirable dextérité. Faisant, ils ne gardaient pas le silence, mais chantaient tout en s’acquittant d’un si triste office. Curieux de savoir si les autres esclaves faisaient ainsi leur service en chantant, je demande à boire : aussitôt un esclave empressé m’apporte une coupe, en accompagnant cette action d’un chant aigre et discordant : ainsi agissaient tous les gens de la maison lorsqu’on leur demandait quelque chose. Vous eussiez cru être au milieu d’un chœur de pantomimes plutôt qu’à la table d’une mère de famille.

    Cependant, on apporte le premier service, qui était on ne peut plus splendide ; car déjà tout le monde était à table, à l’exception de Tau, à qui, contre l’usage, on avait réservé la place d’honneur. Sur un plateau destiné aux hors-d’œuvre était un petit âne en bronze, portant un bissac qui contenait d’un côté des olives blanches, de l’autre des noires. Sur le dos de l’animal étaient deux plats d’argent sur le bord desquels étaient gravés « TAU » et le poids du métal. Des arceaux en forme de ponts soutenaient des loirs assaisonnés avec du miel et des pavots. Plus loin, des saucisses brûlantes sur un gril d’argent ; et, au-dessous du gril, des prunes et des grains de grenade… Nous étions plongés dans cet océan de délices, lorsqu’aux accents d’une symphonie parut l’autonommé Lung, portée par des robiots qui le posèrent bien mollement sur un lit garni de petits coussins. À cet aspect imprévu, je ne pus m’empêcher de laisser étourdiment échapper un soupir… Il fallait le voir et le regarder… lui et ses voiles de pourpre, et son cou… il portait aussi, au petit doigt de la main gauche, un grand anneau doré, et, à l’extrémité du doigt suivant, un anneau de plus petite dimension, mais d’or pur, à ce qu’il me parut, et parsemé d’étoiles d’acier. Ce n’est pas tout : pour nous éblouir de l’éclat de ses richesses, il découvrit son bras droit, orné d’un bracelet d’or, émaillé de lames de l’ivoire le plus brillant…

    Arrive un plateau sur lequel on portait un sanglier de la plus haute taille. Sa hure était coiffée d’un bonnet d’affranchi (un bot rendu à sa liberté) ; à ses défenses étaient suspendues deux corbeilles tissées de petites branches de palmier remplies de dattes. Pour faire la dissection du sanglier, s'excava d'un des murs du fond un grand robiot en habit de chasseur, fier, à longue barbe, dont les jambes étaient enveloppées de bandelettes. Tirant son couteau de chasse, il en donne un grand coup dans le ventre du sanglier : ! de son flanc entr’ouvert s’échappe une volée de grives ! En vain les pauvres oiseaux cherchent à s’échapper en voltigeant autour de la salle ; des biots-oiseleurs, armés de roseaux enduits de glu, les rattrapent à l’instant, et, sans qu’on leur en donne l’ordre, en offrent un à chacun des convives. Aussitôt ils courent aux corbeilles suspendues à ses défenses, et nous distribuent, par portions égales, les dattes. Au milieu de tout ce mouvement, comme j’avais une place un peu séparée des autres, je me livrais à une foule de réflexions sur ce sanglier… Après avoir épuisé toutes les conjectures les plus ridicules, je me hasardai à… Qu’est-ce qu’un jour ? s’écria Lung, un espace insensible : à peine a-t-on le temps de se retourner, que déjà la nuit vient. Ainsi donc rien de plus sage que de passer directement de la table, au lit. On n’a pas encore eu le temps de se refroidir, et l’on n’a pas besoin d’un bain pour se réchauffer. QUAND SOUDAIN ! La chevelure bizarre de Tau fait volteface pile dans le regard du piaf. L’émerillon mécanique. Un instant... un demi quart d’instant... Regardez. On croirait qu’elle nous voit la voir. Qu’elle pressent notre revue. Rien qu’une bête et méchante impression. Pourtant… l’oiseau a cessé la transmission… Oui… Non… Ce n’est pas si bas. Pour un fluide statique, la pression ne dépend que de l'altitude. N’est-ce pas ?

    Quand nous retrouvâmes l’autonommé Lung, nous n’avions plus beaucoup d’espoir de le retrouver. Aux myalgies se mêlèrent mes larmes de joie ! Il était bien là ! Au fond d’un des derniers puits de glace qu’exploitent la compagnie AQUA© pour aqueduquer l’Aérochrome. Elle prélève juste ce dont la ville a besoin. Plus un petit supplément... pour elle-même et pour... vous savez qui. Je sais. Ça ne me regarde pas. Lung était donc fourré là. Ni lui ni personne ne l’appelait plus Lung. Il était redevenu U27.4, agent des conduits de la Cité. C’est bien lui. Hagard et pelotonné dans une série de duvets. De défection en défection, l’autonommé Lung s’était vu dégravir un à un les échelons. Mais il se tient au milieu d’un hémicycle creusé dans lequel on commence à s’installer. Lentement, tout à fait lentement, les quelques mineurs restés à s’épuiser au fond boyau remontent au niveau zéro... poussant leurs malles pleines aux rebords de sorbet. Ils font peser la givrure par leur Prote Superviseur, une balance AQUA©… et courent... piochant dans une verdeur dernière... se ruent au réfectoire. C’est la vie de tous les soirs. Saucisses-lentilles. Balade boudine ! Ils courent à la pièce ! Pas le temps de rechigner ! Chemin faisant, regardent les étoiles... Pourtant, ils n’en ont pas le temps. Ils regardent les étoiles innombrables ! Quoique ce soir... on dirait qu’avec un peu de patience... on pourrait les dénombrer ! Ils n’en ont pas le temps dis-je ! QUAND SOUDAIN ! Des clarinettes… et puis haut, très haut, un hautbois… ils relèvent leur cache-oreille et tels de petits grains se plantent dans les gradins… QUAND SOUDAIN ! Narrais-je. Au-dessous des mineurs, le rideau se lève sur un décor : une grosse lune au-dessus d’un radeau ! Aspirant en silence les assiettes creuses...

                           rêvant de fumées,

                        s’assoient et digèrent,

          près de l’orchestre, discrets,

                 même s’ils rotent un peu d’air…

            sirotent six verres, souvent pleins,

          d’un cognac qui se marie encore bien…

           toujours, rituellement servis en tulipes

           juste comme le maître de chais l’exige…

            apprends qu’eau-de-vie mature se fige.

             à sa mort fût de chêne fit un cippe.

                   eux, changent leurs nippes…

                     c’est qu’ils s’appliquent

                       en savourant l’arôme.

                                  c’est

                                  pour

                                  être

                                  sans

                                    ta

                                   che

                                   sur

                                   les,

       tuniques assorties à leur cigare fantôme

 

    Pardon. J’accélère. Au centre des planches se montra notre barbu fourré. Fourbu et bourré. Oui. Une autre manière de le dire. Il dit :

        « Les mains décharnées posées sur ses épaules, nos pas éthérés nous entraînent en cadence, la musique s’est arrêtée au milieu de l’envol, un coup, puis deux, et cesse la danse, sa peau avait la douceur de la mangue, quand je caressais tendrement son visage... maintenant c’est le fandango qui nous tangue, pour les quatre ans que dure notre voyage... »

Son traintrain dans la mine gelée lui convenait. Tout portait à le croire. Pourquoi changer ? Pourquoi fallait-il que ça change ? Nous n’avons pas lu les signes habituels... Je veux dire... il pointait très tard le soir et très tôt le matin. Avec un rendement plus que bon. Il n’y avait pas de problème. No hay problema. Et encore aujourd’hui, si je ne voyais pas le problème, je ne croirais pas qu’il y en ait un. Non ! Sa vie dans la mine glacée n’avait pas l’air de trop lui déplaire ! ... Épuisé, il se couchait tôt. Reposé, il se levait tôt. Et n’avait, c’est ce que nous pensions, rien à penser. Nous étions idiots ! Mais pas dans notre référentiel... aussi ignorions-nous notre idiotie. U27.4 se couchait tôt mais s’endormait tard. De plus. Il se réveillait bien plus tôt qu’il ne se levait. Cela figure dans les premiers compte-rendu que nous rendit... 

Oui. Tau. La chose que ce temps perdu lui procurait ? Ce qu’il mijotait dans son lit... le nœud de l’affaire y est contenu... le drôle rédigeait des jeux de rôles à destination des mineurs : Chaque participant endosse un pseudonom et récite un texte à une audience. Oui en imitant et en mimant…Quand il quitte la scène, le participant reprend son matricule... Tout à fait. L’affaire s’ébruite et... de dissémination en dissémination... Oui. Le spectacle s’intitule « 4 éléments ». Si je l’ai vu ? Ce n’est vraiment pas si terrible. Quatre fois. Voyez par vous-même. Voici l’ouverture.

 

« Clause de non-responsabilité́ : cette représentation pourrait générer en vous un sentiment de profonde ignorance. Vous pourriez regretter l’avoir vu car elle est susceptible de vous ouvrir les yeux sur l’illusion de leur ouverture. Nous ne voyons pas le réel. Des ondes et des particules frappent les cellules photochimiques de notre rétine. Les réactions chimiques sont traduites en activité́ électrique que le nerf optique transmet au cerveau… Et le signal lumineux prend forme, notre cerveau fabrique une image, il fige le feu qu’a reçu nos yeux. Beaucoup de choses n’ont aucune existence hors de notre pensée. Nous percevons un réel dissimulé. Rien n’était écrit. Alors nous avons mis la main à la pâte. Faire la science, c’était admettre une série d’énoncés initiaux, des axiomes a priori qui servirent un processus de simulation… nous n’avons pas découvert le monde, mais de nouvelles façons de nous le figurer. Pour autant, chaque humain semble être une consécution de concrétisations concrètes. Le génie caché ne sert à rien, il n’a pas de réalité́. En 480 avant notre ère, Empédocle se jette dans l’Etna pour mettre fin à sa vie mortelle. Tout changement soudain s’explique par le feu... Réconfort, torture ; âtre, incendie ; tutélaire et terrible, la flamme sait se contredire : elle vous accueille et vous tient en respect. Depuis des temps bien plus reculés, le vase du vieux titan Océan déverse continuellement les eaux des mers et des ruisseaux… Terme de la titanomachie (guerre opposant les titans aux premiers dieux), Jupiter, Neptune et Pluton surgissent et larronnent l’urne du vieillard. Océan dévore des yeux les trois frères, hausse poussivement ses vastes épaules… et brûle son palais pour échapper à la fin de son histoire… Le feu est une overdose, une révolution dont se dégage un je-ne-sais-quoi d’ancien en soi, un brasillement, une phosphorescence des aurores dévorées de l’humanité́. Décembre 95, jour d’ouragan. Six insulaires de l’île-de-Bréhat distinguèrent distinctement une troupe d’anthropomorphes dansant dans l’anticyclone au moyen de voiles brodées autour de vêtements. Une anémochorie de samares... disséminées dans l’air avec l’organdi de leurs simarres... Quinze jours plus tard, en gare du Chrome, on demandera son avis sur les quatre éléments à un clochard. Après une longue bagarre contre lui-même il criera, je cite : « Mon rut, mes rites, ma rate... mes eaux bues... mes bombes… ma terre, mon blé́, mes pattes… mon feu, mon eau, mon plat ! Mon cul, mes cuisses, mes courses ! Eaux troubles... air conditionné... boues... feux follets... des conceptions maculées... petits dieux élémentaires... dans les gouttes telles divinités… en telle forge ronronne un chat démon... des tribus aériennes... des locataires du sable mouvant... Prométhée chipe la roue du char solaire pour l’amarrer à des rives moirées... Voilà ! Des soieries olympiennes, des trésors vénériens ! Du creux des cryptes aux berges barges... Feinte et feux, nez fin, je vais décroissant... mon phallus à faim, je veux des croissants ! Mon or, mes chiards, mon chien tombé dans un panneau photo-volcanique... Ma mère, mon pet, mon frère ! Mes frais, mon fric... la vérité dans mon froc ! Mes tares, l’éther… mon flair ! Mes frasques, mes fresques, mes frusques... Je brille je braille je brouille... ma gymnastique, mon vrai jumeau, mes millions de gemmes fragmentaires... le Château Margot changé en pinard élémentaire... » 

La cité me fatiguait… détruite, redétruite, puis rereredétruite, le Chrome connaîtrait enfin son répit... engloutie par l’Océan... On la retrouverait d’ici à six-cents siècles je le sais... gerbée sur quelque grève, elle émergera… bourrée des fossiles de ceux qu’elle hébergeait... « Ma rame mes rimes mon rhum ! » Le clodo boxeur me poursuivait... tant pis, voilà mon avis sur les éléments : 

La musique démarre dans le salon... et s’accroit dans l’appartement... portant sa croix... traverse la chambre... doucement... passe en revue les oreillers... les revues, les BD... des affiches, des instruments, des billets... puis c’est dans la salle d’eau qu’elle abcède... enfle... dans un petit lagon émaillé d’à peine un demi-mètre carré… le son dessine des signes dans l’eau et désaxe les danseuses au-dessus des bougies. Elles se noient dans ce qui les alimente. Il faisait chaud dans la pièce pleine de vapeur. Touchant son front d’une paume aplatie, elle croise les jambes, tourne sa page, ils sont là... Les éléments ! Oui... Mes mains décharnées posées sur ses épaules, nos pas éthérés nous entrainent en cadence... la musique s’arrête au milieu de l’envol... un cou puis deux et cesse la danse... sa peau avait la douceur de la mangue... quand je caressais tendrement son visage... maintenant c’est le fandango qui nous tangue... pour les 4 ans que dure notre voyage... 

Un petit coup au carreau, comme si quelque chose l’avait heurté, suivi d’une ample chute légère comme des grains de sables qu’on eût laissés tomber d’une fenêtre au-dessus, puis la chute s’étendant, se réglant, adoptant un rythme, devenant fluide, sonore, musicale, innombrable, universelle : c’est la pluie… »

Voilà. Le prologue se terminait ainsi. C’était un enregistrement. Il n’y a pas de pluie. Seulement l’idée de la pluie.